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    CROYANCES ET VERITÉS

    Le frein de langue restrictif et l’enfant allaité


    Depuis quelques temps, je reçois au cabinet des nourrissons dont l’allaitement maternel ne se passe pas idéalement et qui tous connaissent un parcours quasiment identique.

    Après une manipulation sur les cervicales (que je dénonce dans cet article sur les enfants estampillés Kiss) et un frein de langue sectionné, ces bébés pour lesquels il est posé un diagnostic de frein de langue restrictif, ne connaissent pourtant pas d’améliorations significatives.

    Un an après la rédaction et la mise en ligne de cet article, l’Académie nationale de médecine, appelle à la vigilance et dénonce la dérive actuelle consistant à des hausses injustifiée des sections de freins de langue.

    Une augmentation galopante des diagnostics de freins restrictifs

    Depuis une dizaine d’années, en effet, le diagnostic de frein de langue restrictif connait un succès qui ne se dément pas, et les demandes de section des freins courts connaissent une spectaculaire augmentation : + 3710% entre 2006 et 2016 à Sydney, (Kapoor et Al. 2018), et une tendance au sur-diagnostic et au sur-traitement également en France.

    L’ankyloglossie est une anomalie congénitale difficile et complexe à diagnostiquer.  Il n’existe en effet pas de référentiel précis, et la structure anatomique de ce frein n’est pas encore complètement connue. Il n’a pas été démontré à ce jour de lien entre un dysfonctionnement de la succion chez l’enfant allaité et un frein restrictif. Certains bébés avec un frein court se nourrissent très bien, quand d’autres connaissent des difficultés.

    Pourquoi certains bébés y parviennent lorsque d’autres ne peuvent pas?

    Le mécanisme de lactation

    Il a été démontré tout récemment par échographie que le mécanisme principal de la lactation n’est pas le mouvement ondulatoire de la langue contre le palais, mais le mécanisme de dépression intra-buccale exercée par la mandibule (Elad et Al 2014, Cannon et Al 2016). L’idée selon laquelle la langue doit être parfaitement mobile n’est donc qu’une croyance infondée. Le Pr Delaire, éminent chirurgien cranio-facial, ne dit pas autrement en affirmant l’importance de la propulsion mandibulaire chez le bébé allaité dans la morphogenèse orofaciale.

    Ainsi le frein qui viendrait perturber la lactation n’est pas un mécanisme qui a été parfaitement démontré. 

    Les raisons d’une difficulté d’allaitement sont donc probablement ailleurs.

    Ces données scientifiques récentes mettent à mal des idées communes, mais expliquent donc de façon rationnelle pourquoi des bébés -dont le parcours les amène jusqu’à une section de frein de langue- n’ont pas amélioré de façon certaine la prise du sein, et l’éjection du lait maternel. Ainsi, lorsque je reçois un nourrisson avec des difficultés au cabinet, comme pour tous les autres bébés, et quel que soit son parcours, je m’intéresse à la mobilité de l’ensemble de ses structures, notamment celles impliqués dans la lactation.

    La problématique pourrait résider, en effet, dans la confusion entre l’existence d’un frein de langue restrictif et une position postérieure de tout le massif lingual. Avec des mobilisations douces et adaptées (et la patience et l’accompagnant des parents), l’enfant peut retrouver son aisance.

    La croissance orofaciale 

    Par ailleurs, le frein de langue est une structure membraneuse dynamique dans la croissance de la face, nécessaire à son développement. C’est pourquoi, il faut la traiter avec beaucoup d’humilité, car à ce jour, il n’y a pas de preuve de l’intérêt d’une frenotomie sur des problèmes d’apnée du sommeil, de RGO, diversification alimentaire ou troubles du langage. Et peut-être même peut-on penser l’inverse quand on s’intéresse aux mécanismes de la croissance orofaciale

    Encore une fois, les travaux du Pr Delaire ont déjà démontré qu’une section inappropriée de ce frein pouvait perturber une croissance harmonieuse de la face ainsi que la mise en place des fonctions orofaciales.

    Enfin, il existe un consensus scientifique sur le frein labial. Une section de celui-ci ne se justifie jamais scientifiquement dans l’objectif d’améliorer l’allaitement.

    Les parents, à juste titre, peuvent être perdus dans le discours des professionnels qui les accompagnent. J’ai cependant pour habitude de dire qu’il n’y a, à priori, pas de mauvaise décision tant que les parents ont accès à un discours éclairé et à une démarche professionnelle.

    Je remercie donc en ce sens le Dr Gisèle Gremmo- Féger, pédiatre coordinatrice DULHAM,  pour ses éclairages dans son article « La saga des freins buccaux restrictifs » chez l’enfant allaité (Janvier 2021) , qui m’a conforté dans mes diagnostics par des références scientifiques précises, et m’a inspiré la rédaction de cet article.

    © Bertrand Rémin ostéopathe à Nantes et Saint-Nazaire 2017.

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